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Au théâtre, le retour d’une censure qu’on croyait évanouie avec l’Italien Romeo Castelluci

Retrouvez tous les épisodes de la série « Les batailles du théâtre » ici.
La police qui protège des artistes et veille sur leurs spectacles ? Cette scène ne s’est pas déroulée sous une autocratie mais à Paris, la ville des Lumières. Elle n’a pas eu lieu une fois mais trois fois. Elle ne se conjugue pas au passé antérieur mais a surgi en 2011 puis en 2014, sur le parvis de théâtres.
Le 20 octobre 2011, au Théâtre de la Ville, à Paris, l’artiste italien Romeo Castellucci présente Sur le concept du visage du fils de Dieu, un spectacle précédé d’une rumeur sulfureuse. Ce créateur de fastueuses cérémonies plastiques s’adonnerait au sacrilège en insultant la religion catholique. On voit dans sa pièce un vieillard dysentérique nettoyé par son fils. Et puis, affiché en fond de plateau, le visage géant du Christ : le Salvator Mundi d’Antonello de Messine, un tableau de la Renaissance. L’image est bombardée de pseudo-grenades par des enfants ; escaladée et lacérée, la peinture finit maculée de faux excréments.
Jugé blasphématoire par des chrétiens fondamentalistes qui ont tenté – en vain – de le faire interdire par la justice, le spectacle va se heurter, chaque soir, à des perturbations. « C’était une attaque fasciste », juge Romeo Castellucci, qui se souvient d’un « tribunal idéologique » devant lequel il fallait tenir coûte que coûte. « Si nous avions renoncé, ils auraient gagné. La défense de l’art, quel qu’il soit, est un principe fondamental. »
Fondamental mais contesté avec virulence par Civitas, mouvement d’extrême droite et catholique intégriste (dissout par le gouvernement en octobre 2023). Certains de ses membres payent leur place, s’introduisent dans le théâtre et envahissent le plateau en brandissant une pancarte : « Christianophobie, ça suffit ! » A l’extérieur, sur la place du Châtelet, leurs camarades se prosternent, les mains jointes, quand ils ne balancent pas des boules puantes ou du gaz lacrymogène pour dissuader le public d’entrer. Si aucune représentation n’est annulée, un scénario proche du chaos se réitère chaque soir, contraignant la direction du Théâtre de la Ville à placer les représentations sous la protection de CRS.
Deux mois plus tard, le 8 décembre 2011, bis repetita à Paris. Rodrigo Garcia et sa pièce Golgota Picnic, présentée au Théâtre du Rond-Point, sont dans le collimateur. Civitas ne digère pas la charge au vitriol de ce trublion argentin fustigeant un christianisme coupable à ses yeux d’avoir sacrifié ses valeurs humanistes. L’auteur et metteur en scène, qui rebaptise Jésus « El Puta Diablo » (« la pute du diable »), n’y va pas de main morte. Sur la scène, un comédien est allongé bras en croix. Autour de lui, un amoncellement de petits pains. Sur son corps, une plaie dans laquelle pullulent les billets de banque.
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